Apple : nouveau diktat de l’opinion ?
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Apple : nouveau diktat de l’opinion ?

Apple est connu par exemple pour sa pruderie. Traditionaliste, ancrée dans un terroir, puritaine… A l’image de l’Amérique profonde dans laquelle elle a vu le jour, l’entreprise à la pomme pourrait pratiquer la « censure » en autorisant ou pas certains contenus sur News.

La guideline d’Apple est claire : « Apple voit les applications d’une manière différente des livres ou des morceaux musicaux, pour lesquels on ne fait pas de curation. Si vous souhaitez critiquer une religion, écrivez un livre. Si vous souhaitez parler de sexe, écrivez un livre ou une chanson, ou bien créer une application médicale. Ça peut être compliqué, mais nous avons décidé de ne pas autoriser certains types de contenus dans l’App Store ».

Et pourtant… La réalité était tout autre dans l’application Newsstand, selon Anthony Nelzin, journaliste à MacGeneration. Son analyse ? « Apple modérait le kiosque parce que les applications des groupes de presse étaient disponible dans l’App Store, et que ça aurait fait mauvais genre de présenter la page 3 du Sun à des gamins qui venaient chercher Angry Birds ».

Le journaliste nuance tout de même cette « modération » : « à l’inverse, il n’y a aucune forme de modération dans l’iBooks Store », avec un exemple concret à l’appui.

« Si vous avez un Mac, lancez-le et regardez le classement des livres et vous verrez qu’il y a beaucoup de « littérature sentimentale » avec des couvertures pas forcément discrètes. »

Et de remettre les choses en perspective : « La seule fois qu’Apple demande des ajustements, c’est quand des couvertures sont très explicites alors que le livre se déclare tout public. »

Concernant News, selon Anthony Nelzin, « il n’y a pas vraiment de règles, mais les recommandations générales sont dans la même veine : les éditeurs publient ce qu’ils veulent, Apple ne fait que distribuer ». Le journaliste émet tout de même quelques réserves : « Je vois mal Apple mettre en avant des articles un peu barrés sur des subcultures ou promouvoir le travail de quelqu’un comme Violet Blue (écrivaine érotique NDLR), mais on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise. »

Les détracteurs d’Apple dénoncent une certaine « aseptisation » de l’actualité avec des thèmes interdits comme la cigarette, le sexe, la violence, mais aussi la guerre et le terrorisme. Pour appuyer cette théorie, certains détracteurs se baseraient sur une charte que la marque à la pomme ferait signer aux médias français pour bénéficier d’un budget publicitaire, en expliquant que News pourrait, selon eux, aussi dévier dans cette voie. Mais il est encore beaucoup trop tôt pour parler d’une quelconque censure de News.

En passant par News ou Instant Articles, les éditeurs perdent le contrôle de leur distribution mais surtout celui des chiffres de leur audience. Des données qui ont leur importance pour savoir par exemple qui lit leurs articles ou quel article fait le plus de buzz. Les plateformes du Net ont ces données entre les mains, mais, dans certains cas, donnent accès aux éditeurs pour les consulter. Cependant, les géants du Net ont la main-mise sur ces datas et peuvent très bien décider du jour au lendemain de « fermer le robinet » des données de tel ou tel éditeur.

Philippe Couve analyse la situation :

La curation : demain les journalistes tous curateurs ?

Le 21 septembre, Etan Horowitz annonçait être le nouveau rédacteur en chef de la nouvelle application d’Apple, News. Pas de production d’article pour Etan, mais simplement une « curation » de l’actualité. Autrement dit, un tri, une sélection et une hiérarchisation de l’information. Philippe Couve l’analyse comme « ni plus ni moins qu’une revue de presse ».

Une analyse approuvée par Mélissa Bounoua : « La curation, c’est un vieux truc du Web, les journalistes faisaient ça au début lorsque les moteurs de recherche n’étaient pas assez puissants. »

Une pratique pas si neuve que ça pour la marque à la pomme. En effet, pour Anthony Nelzin : « Les sélections d’applications dans l’App Store sont réalisées par des journalistes techno, beaucoup de listes de lecture d’Apple Music sont réalisées par des journalistes musicaux. »

Un argument relayé par Mélissa Bounoua : « Apple veut des gens qui s’y connaissent dans tel ou tel domaine de l’actualité, pour aller plus vite dans la sélection de l’information. L’entreprise fait ça pour penser un service qui soit cohérent, exigeant et qui éditorialement tienne la route, car ce n’est pas son métier de faire des médias ». Mais la curation n’est pas spécifique à Internet, selon elle, « il y a 20 ans, lorsqu’un journal papier sortait un scoop, il était repris par d’autres journaux papier. »

Les journalistes « curateurs »

  • Etan Horowitz chez Apple (ex-CNN)
  • Peter Hamby chez Snapchat (ex-CNN )
  • Andrew Fitzgerald chez Twitter (ex-Aljazeera)

Le problème, c’est qu’« aujourd’hui, on différencie la production et la curation, alors que ces deux notions sont liées depuis toujours », analyse Philippe Couve.

Jusqu’ici, pour la profession journalistique, la seule valeur était la production, et non la sélection.

Une maxime qui tend à changer depuis peu, comme le souligne Mélissa Bounoua, qui explique qu’écrire des articles et proposer du contenu, « ça ne [lui] manque pas car reader.fr est un nouveau projet dans un média et [qu’elle] préfère écrire un bon papier quand [elle en a ] envie plutôt que de sortir X papiers par jour. »

La journaliste pense au futur : « Connaissant la ligne éditoriale d’Apple, il y aura des choix éditoriaux, et peut-être que ces journalistes auront des instructions ». Anthony Nelzin se montre prudent : « Rien ne laisse présager qu’Apple compte utiliser ces journalistes – et ceux qu’elle pourrait recruter dans le futur -, pour créer du contenu original. »

 

Soizic Bour & Justine Pluchard

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