Les médias émergents

Et si les infos vous donnaient la pêche?

Voilà ce qu'on pouvait voir dans les kiosques mardi 13 octobre.

Voilà ce qu’on pouvait voir dans les kiosques mardi 13 octobre.

Marre de l’actualité morose et des informations anxiogènes ? Assez des discours déclinistes et de la nostalgie d’une époque sans crises économiques, sans guerres, sans épidémies ? Rassurez-vous, tout n’est pas merdique. Des journalistes ont pris le contre-pied de cette nouvelle grande dépression et se tournent vers ce qui marche. C’est ça, le journalisme constructif. Laissez votre fatalisme à l’entrée !

Lundi 12 octobre 2015, Palais d’Iéna à Paris. Des escaliers en marbre, descend un contingent de journalistes, entrepreneurs et quelques étudiants venus assister à la remise du Prix Reporters d’Espoirs 2015. Dans les débats qui suivent, il est question d’anonymes qui s’engagent dans des projets d’hébergement pour les sans-domicile, de construction de parc hydrolien, d’exploits humains en tout genre. Toutes ces trajectoires individuelles et ces récits de lutte contre l’adversité détonnent dans le marasme d’une France droguée aux anxiolytiques. Il faut écouter Gilbert Pinteau, raconter, la voix emplie d’émotion, comment son collectif des SDF de Lille a pu reloger des dizaines de personnes, sans l’aide des pouvoirs publics. Il y aurait presque de quoi enterrer le cynisme franchouillard.

Mettre à l’honneur des sujets traités sous l’angle problème-solution, décrire la réalité tout en donnant l’envie d’agir, tels sont les objectifs de ce prix. Créé en 2004, il est décerné chaque année par l’association qui est l’un des principaux contributeurs du journalisme de solutions.

Selon le baromètre TNS Sofres 2015 pour La Croix, 58% des Français considèrent que les médias donnent trop d'importance aux mauvaises nouvelles.

Selon le baromètre TNS Sofres 2015 pour La Croix, 58% des Français considèrent que les médias donnent trop d’importance aux mauvaises nouvelles.

Christine Cauquelin, directrice des chaînes thématiques Découverte du groupe Canal+, l’explique : « Les journaux ont tendance à ne montrer que le côté vide du verre. Le journalisme de solutions s’attache à la partie pleine du verre. Pratiquer ce journalisme là quand on en pratique un autre, c’est ouvrir son spectre et être plus exhaustif. Un nouveau monde existe déjà et c’est notre rôle de mettre en valeur cette partie de la réalité. »

Chômage, État islamique, tensions sociales, catastrophes naturelles, Ebola sont désormais les Unes interchangeables des médias traditionnels. Steven Pinker, professeur de psychologie à Harvard explique dans The Better angels of our nature : Why violence has declined que le nombre de crimes violents est en baisse constante depuis des siècles, que les guerres font globalement moins de morts aujourd’hui qu’il y a 400 ans mais que les faits divers sont beaucoup plus médiatisés.

Nathalie, une commerçante bordelaise déprime. « J’ai décidé d’arrêter de m’informer purement et simplement. Je ne supporte plus tout ce pessimisme. C’est une trop grosse source de stress ! » Le discours de Nathalie est loin d’être minoritaire.

Les apôtres de la bonne nouvelle

Un avion s’écrase, aucun survivant. Là où les médias traditionnels titreraient « Série noire : 300 morts », le journalisme constructif annoncerait « Énorme élan de solidarité pour les familles des victimes, l’aide s’organise ».

Certains médias ont bien compris le message et ont déjà intégré un vent d’optimisme dans leurs programmes. Il y a par exemple Le Journal des initiatives sur France 3 avant le JT de midi, l’émission Carnets de campagne sur France Inter qui consacre chaque jour 15 minutes à des idées alternatives, des inventions et initiatives d’inconnus. Dans la presse, La Croix a sorti un trimestriel : « Toute l’énergie du monde » ou encore Libération qui publie chaque année son « Libé des solutions » enregistrant les meilleures ventes du quotidien avec 145 000 ventes lors de sa première édition en 2007.

Le journalisme de solutions ne se cantonne pas aux frontières de l’Hexagone. L’Impact Journalism Day organisé par Sparknews, fédère une fois par an une cinquantaine de journaux nationaux et internationaux qui publient un supplément proposant des solutions concrètes pour répondre à des situations de crise. La dernière édition a eu lieu le 20 juin 2015.

D’autres médias ont fait le pari de ne produire que de l’information constructive. Le webjournal Courant positif de Nicolas Blain milite en faveur de l’implication du lecteur comme acteur du monde de demain.

Pour Ulrich Haagerup, auteur de Constructive news, « Le journalisme, il y a 20 ans, traitait l’info de la veille. Aujourd’hui avec Internet et les nouvelles technologies, on est dans le présent, dans l’immédiateté. Le journalisme constructif, lui, s’intéresse à l’avenir. »

Le journaliste François Siegel a lui créé la revue « We demain ». Elle raconte notre monde en mutation. Le journalisme constructif est parfois même une discipline enseignée dans les écoles de journalisme. C’est le cas au Danemark, dans la prestigieuse «Danish School of Media and Journalism ».

Mi-pub, mi-franchise

Dans la fête aux bonnes nouvelles s’invitent parfois des publi-communiqués. Des chaussures qui se recyclent aussi facilement que des bouteilles en plastique, un lave-linge qui fonctionne « presque » sans eau ni électricité : ces initiatives éco-friendly ne sont pas sur une chaîne de télé-achat mais bien sur le site de Courant positif, média qui se revendique sur sa page « média d’information constructive ».

Une dérive que met en évidence Vincent Belotti, animateur chaque jour de l’émission « Les bonnes ondes » sur RCF. « Comme ce mode de journalisme, ce mode de communication plutôt, devient très à la mode, il y a beaucoup d’entreprises ou d’agences de communication qui sautent un peu dessus en se disant « tiens telle entreprise remet un chèque de 10000 euros à une asso caritative et hop ça nous fait une bonne pub, une bonne conscience et tout le monde va en parler. » Il faut se méfier de ce versant là qui est est un détournement du journalisme constructif. »


Le journalisme constructif est devenu incontournable. Il ne faut pas le concevoir comme une source d’information autonome mais comme un supplément. Il s’agit indéniablement d’un média d’avenir mais il doit garder le goût du terrain au risque de n’être qu’un simple relais des communiqués de presse.

Différents médias à l’international qui participent au journalisme constructif.

Ombeline de Fournoux, Yann Lagarde et Willy Moreau

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