Moments, quand Twitter mise sur l’actualité
L'impact des réseaux sociaux

Moments, quand Twitter mise sur l’actualité

Le 7 octobre 2015, Twitter faisait un pas de plus dans le monde de l’information en lançant Moments, une nouvelle fonctionnalité chargée d’agréger le bruit constant qu’émet le petit oiseau bleu. Pour l’instant seulement disponible aux Etats-Unis, cette innovation technique doit redonner de la hauteur à un réseau social qui peine à se rendre accessible aux néophytes. Les médias traditionnels devront faire avec cette intrusion supplémentaire dans la distribution de l’information.

Tout juste revenu aux commandes après un bref passage chez Walt Disney, Jack Dorsey, fondateur du site de micro blogging, fait parler la poudre : 336 emplois vont être supprimésLe groupe est chahuté en bourse, l’argent ne rentre pas assez (ou pas du tout, c’est selon). Pire, le réseau social patine autour des 300 millions d’utilisateurs tandis que Facebook dépasse le milliard.

Moments, avant d’être un curateur d’informations, est attendu par les équipes Twitter comme le messie : une ouverture aux surfeurs peu habiles en 140 caractères ou pas encore inscrits sur la plateforme. « Twitter est fantastique une fois qu’on sait s’en servirargumente Madhu Muthukumar, chef du projet Moments, mais on sait aussi que c’est dur d’y arriver ».

Son fonctionnement est simple. Les Moments sont triés par catégorie à la façon d’un magazine et sont sélectionnés par une équipe de curation et des médias associés — comme BuzzFeed ou CNN. Une courte vidéo donne un aperçu de ce que propose la fonctionnalité, pour l’instant disponible uniquement aux Etats-Unis.

Quand l’oiseau devient journaliste

Donc certes l’objectif affiché est d’augmenter l’audience de la plateforme. Mais il semble évident qu’un deuxième enjeu soit derrière tout ça. Dans la lignée de Google News, de Facebook qui lance Instant Articles, et Apple News, les géants du web sont en guerre pour devenir les nouveaux distributeurs d’information, voire des médias à part entière.

Des signes ne trompent pas, l’équipe de curation de Moments est « composée de personnes avec des compétences en journalisme, en gestion et curation de contenus issus du net », précise Madhu Muthukumar, interviewé par La Fabrique de l’Info. Il n’a cependant pas souhaité en préciser le nombre.

Nous étudions ce que les gens lisent et ce qu’ils partagent avant de vérifier si nous avons du contenu inédit sur Twitter pour le représenter.

Pour Arnaud Mercier, responsable de l’observatoire du webjournalisme et spécialiste des réseaux sociaux, pas de doute : « C’est un boulot de journaliste. Exactement comme dans les rédactions classiques, il faut agréger et hiérarchiser l’information ». Et l’information, c’est ce qui nourrit le fil Twitter. Les journalistes se sont accaparés l’outil. Les citoyens y relaient des événements en direct. Le réseau est plus rapide que n’importe quel média. La valeur informative de la twittosphère est inestimable, et Moments veut se reposer dessus : « Nous étudions ce que les gens lisent et ce qu’ils partagent avant de vérifier si nous avons du contenu inédit sur Twitter pour le représenter« , explique le chef du projet.

Les têtes pensantes de la firme de San Francisco veulent mettre le paquet sur l’usage de twitter en tant que fil d’actualité. « Il n’existait pas de principe de filtrage sur Twitter, cela devenait très rapidement un magma de bruit », explique Arnaud Mercier. Le réseau social joue maintenant sur deux tableaux. On y construit son propre fil d’actualité en choisissant ses sources et on nous offre maintenant un contenu pré-trié.

À partir du moment où les médias sérieux ont intégré l’idée que Twitter est un rapporteur d’audience important, leur intérêt est de travailler avec le réseau social.

En choisissant quel contenu mettre en avant par rapport un autre, Twitter s’expose toutefois à des critiques sur son choix éditorial. Aux Etats-Unis, tous les Moments répondent à une charte définie par le réseau social. Les partenaires s’engagent à suivre cette ligne de conduite pour voir leurs articles valorisés. Ces choix, indépendants des médias, risquent de rendre ces derniers réfractaires. Est-il vraiment dans leur intérêt de se plier à la charte Moments ? Pour Arnaud Mercier, « à partir du moment où les médias sérieux ont intégré l’idée que Twitter est un rapporteur d’audience important comme Facebook et Google News, leur intérêt est de travailler avec le réseau social ».  Pour le chercheur, impossible donc d’ignorer l’audience, il faut aller la chercher là où elle se trouve. Et elle se trouve sur les deux géants Facebook et Twitter.

Un équilibre à trouver

« Twitter risque sa crédibilité. Il faut qu’ils proposent une formule équilibrée entre buzz et pertinence de l’information, sans faire de placement produit », s’inquiète le spécialiste des médias. De son côté, Madhu Muthukumar s’est engagé : « Nous ne mettrons en avant des tweets et des Moments qu’en fonction de leur utilité par rapport à notre audience et pas aux bénéfices des publicitaires, des partenaires ou encore des intérêts financiers de Twitter ».

Sur ce que peut apporter Moments aux médias actuels, Arnaud Mercier est formel : « Je pense que c’est une bonne chose. J’ai plus tendance à faire confiance à des êtres humains qui éditorialisent à travers une curation, qu’à un algorithme dont on cherche à cacher la programmation et que l’on change tous les deux mois, comme c’est le cas avec Facebook. »

La fonctionnalité devrait arriver bientôt en Europe. « Dans les semaines ou les mois à venir », selon Madhu Muthukumar. En France, on ne communique pas encore sur le sujet :  « il n’y a rien de plus à en dire pour le moment », élude Christopher Addoub, directeur de la communication à Twitter France.

Pour les curieux qui souhaiterait tester Moments, voici comment jeter un oeil à la version américaine :

François d’Astier & Vincent Trouche

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