Les dernières lois

Lanceurs d’alertes recherchent loi désespérément

Stéphanie Gibaud, Edward Snowden, Chelsea Manning, Hervé Falciani ou encore Irène Frachon. Des noms qui ont popularisé le terme de « lanceur d’alerte. » Héros de la démocratie pour certains, traîtres pour les autres, ils divisent autant qu’ils canalisent les défauts de nos sociétés. Pourtant, leur courage transforme souvent leur vie en cauchemar. Harcèlement, poursuite judiciaires, licenciements… Ils sont aussi souvent abandonnés à leurs sorts pendant l’après-révélation. Notamment à cause du flou juridique de leur statut. 

En 2013 aux Etats-Unis, marche de soutien aux lanceurs d'alerte et notamment à Bradley Manning, condamné à 35 ans de prisons pour avoir transmis des documents confidentiels au site WikiLeaks

En 2013 aux Etats-Unis, marche de soutien aux lanceurs d’alerte et notamment à Bradley Manning, condamné à 35 ans de prisons pour avoir transmis des documents confidentiels au site WikiLeaks (photo d’illustration)

Dans la nuit parisienne, une femme rentre chez elle. Son pas n’est pas assuré, elle semble porter tout le poids du monde sur son dos. Elle est suivie, mais ne le sait pas encore. Cette quadragénaire a entamé une véritable descente aux enfers. Son avocat l’avait pourtant prévenue : « Faites attention aux camions lorsque vous traversez. » Elle est menacée, et elle le sait. Comme dans un de ces vieux polars en noir et blanc, elle lutte contre plus fort qu’elle.

En 2008, Stéphanie Gibaud travaille pour la filiale française d’UBS lorsque ses supérieurs lui demandent de détruire une liste de noms d’exilés fiscaux. Elle refuse, contacte la presse ainsi que l’inspection du travail. S’en suivent des années de mise au placard, de harcèlement et de tentative de licenciement. Puis, inévitablement, dépressions et maladies. Une période sombre qu’elle n’exorcisera que plusieurs années plus tard. Comme de nombreux autres lanceurs d’alertes, Stéphanie Gibaud s’est fait broyer par le système.

Le besoin d’une approche juridique globale

Edward Snowden obligé de rester sur le territoire russe, Chelsea Manning condamnée à 35 ans de prison aux Etats-Unis, Hervé Falciani poursuivi en Suisse pour violation du secret bancaire… Ils sont nombreux à payer cher leurs révélations. « Il y a les poursuites judiciaires, mais il y a aussi tous les à-côtés : perte d’emploi, harcèlement... », explique Maître Garance Mathias, avocate spécialisée dans les nouvelles technologies. « Avec notre cabinet, on joue plus un rôle de conseiller auprès des lanceurs d’alertes, pour essayer de faire en sorte que leurs vie ne soit pas trop bouleversée par les révélations qu’ils font… »

Transparency International définit le terme de lanceur d’alerte comme : « Tout employé qui signale un fait illégal, illicite ou dangereux pour autrui, touchant à l’intérêt général, aux instances ou aux personnes ayant le pouvoir d’y mettre fin. » En Europe, seuls quatre pays ont adopté des lois protégeant les lanceurs d’alertes : le Luxembourg, le Royaume-Uni, la Roumanie et la Slovénie. En France, rien. Ou alors si peu. Cinq lois mentionnent le droit pour le citoyen de dénoncer certains crimes commis par son employeur. Par exemple, l’article premier de la loi Blandin du 16 avril 2013 est écrit en ces termes :

Toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l’environnement.

Pour Garance Mathias, le problème vient de l’absence d’une loi globalisante : « Il existe des lois pour protéger les lanceurs d’alertes, mais elles sont souvent éparses et concernent principalement la santé et l’environnement. » En conséquence, les « whistleblowers » se retrouvent souvent seuls face à leurs problèmes.

Et malheureusement pour les citoyens, une réponse politique ne semble pas dans l’ordre des choses. Peu d’élus paraissent s’en soucier. Citons quand même le député socialiste Yann Galut, co-auteur avec l’avocat William Bourdon d’une tribune sur le site Rue89 intitulée Lanceurs d’alerte : la loi doit mieux les protéger. C’est une question d’intérêt général. Nicolas Dupont-Aignan s’est lui aussi engagé en faveur des lanceurs d’alertes sur le site de l’Express via une tribune. Mais ils sont peu nombreux.

Le rôle des médias

Mais les lanceurs d’alertes ne sont pas complètement isolés. En attendant la loi, les comités de soutien à Edward Snowden et Chelsea Manning se multiplient pendant que les affaires font les gros titres des journaux. Les journalistes sont davantage amenés à travailler avec des lanceurs d’alertes. Et paradoxalement, il devient toujours plus difficile de préserver le secret des sources. Les directives européennes imposent des règles plus contraignantes sur le secret des affaires, tout comme la récente loi Macron qui comprenait également un amendement sur le secret des affaires, avant que celui-ci ne soit retiré suite aux protestations.

Une fois l’alerte lancée, il revient donc aux autorités compétentes de prendre le relais, ainsi bien sûr qu’aux médias et aux journalistes. Un travail qui n’est pas toujours bien fait selon Stéphanie Gibaud, malgré l’émergence de nouvelles plate-formes cryptées, comme Source Sûre.

La femme qui en savait trop

Stéphanie_Gibaud

Rentrée à UBS en 1999 au service Communication, Stéphanie Gibaud voit sa vie changer en 2008 lorsqu’elle refuse de détruire des listings de ressortissants français exilés fiscalement -et secrètement- en Suisse. Elle sera ensuite harcelée et mise au placard pendant quatre ans, jusqu’à ce que ses employeurs réussissent finalement à la licencier en 2012. Depuis, elle se bat pour une plus grande protection des lanceurs d’alertes. Dans cette optique, elle participe à la création de la Plateforme Internationale des Lanceurs d’Alertes, mise en place en 2014 par l’avocat William Bourdon, qui a notamment défendu Hervé Falciani ou Edward Snowden. Des journalistes comme Edwy Plenel ou Gerard Ryle les ont rejoints, ainsi que des associations de lutte contre la corruption ou les crimes économiques. En 2014, Stéphanie Gibaud publie La femme qui en savait trop (éditions du Cherche-Midi), revenant sur l’affaire UBS.

Maxime Turck et Angy Louatah

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