Teun Gautier, ex-directeur de l’hebdomadaire Groene Amsterdammer, journaliste influent aux Pays-Bas, fait aujourd’hui le pari des nouveaux modes de financement des médias. Rencontre.
1. Pourquoi avez vous fait le pari d’investir dans les nouveaux médias alternatifs ?
Il y a deux transitions en cours simultanément. La première, c’est le passage de l’infrastructure traditionnelle de l’organisation des médias – qui est une institution, comme le journal Le Monde par exemple, une rédaction avec des gens qui viennent, écrivent leurs papiers – à un écosystème de journalistes indépendants. Ce nouvel écoystème journalistique est un modèle hybride avec beaucoup de journalistes freelance, des travailleurs de l’information, des datajournalistes, des graphistes qui travaillent ensemble. Ils ne distribuent pas seulement leur propre plateforme. La distribution est devenue très hybride. Le modèle traditionnel était basé sur deux sources de revenus : les abonnements et la publicité. Mais la pub est morte, finie. Si je dépense un euro en marketing, grâce à Google cela va être 100 fois plus rémunérateur qu’une publicité dans un journal. Donc la première transition, c’est le passage de l’institutionnel à du décentralisé.
L’autre, c’est un duopole, le passage de deux sources de revenus à de multiples sources de revenus. Si j’investis dans des initiatives nouvelles, c’est parce que je sais que toutes les institutions ne vont pas suivre le virage de cette transition. Le train électrique n’a pas été inventé par des personnes qui travaillaient dans le train à vapeur, il a été inventé par d’autres. Rob Wijnberg – qui est le créateur de De Correspondent (premier pure player néerlandais basé sur le crowdfunding NDLR) – était un rédac chef très connu d’un jeune journal et il s’est bien débrouillé. Un jour, il a dit « J’ai une nouvelle idée, il faut tout faire autrement » et ils l’ont foutu dehors ! C’est un des faiseurs de news les plus talentueux d’Europe et ils l’ont mis à la porte ! Je crois qu’on peut donc dire que la transition ne viendra pas des médias traditionnels.
2. Pensez-vous que le crowdfunding pour financer des médias soit viable sur le long terme ?
Absolument. Et je fais la distinction entre le crowdfunding traditionnel comme Médiapart ou De Correspondent, qui disent : « Nous allons commencer une nouvelle initiative, voici comment vous pouvez nous soutenir avec 60 à 90 euros par an ». Et puis il y a le crowdfunding journalistique. Là, c’est un rédacteur qui va dire : « Je vais faire une enquête, par exemple sur les négociations du Traité de libre échange entre l’Europe et l’Amérique, j’ai besoin de 300 euros, aidez moi si ça vous intéresse de me lire ». Dans tous les cas, ce sont des solutions d’avenir, les modèles de financement de demain.
3. Quel conseil donneriez-vous aux jeunes journalistes que nous sommes, à l’heure de la crise des médias ?
Nous ne vivons pas une époque difficile ! Nous vivons dans un âge d’or, la meilleure période journalistique qu’il y ait jamais eu. Le niveau d’information n’a jamais été aussi élevé qu’il ne l’est aujourd’hui, et c’est la même chose pour la demande d’information.
L’idée qui il y a un problème aujourd’hui dans le journalisme est fausse ! Il y a un problème avec la vieille façon de faire du journalisme, avec les vieilles publications institutionnelles. Mais il ne faut pas perdre de vue que 100 000 personnes paient chaque mois neuf euros pour Médiapart !
Mon premier conseil est le suivant. Vous devez vous spécialiser dans un domaine et tout savoir sur ce sujet. Vous pourrez alors produire une fois et revendre 28 fois votre contenu.
« Le marché alimentaire en Chine » par exemple. Vous allez pouvoir écrire des articles sur ce sujet et le vendre à des journaux, vous pouvez aussi vendre des consultations à des entreprises qui voudraient s’implanter en Chine, vous pouvez participer à des conférences. Vous pouvez écrire du “native content”, créer votre propre blog, et donner des cours pour lesquels les gens paieront. Donc gagner votre vie juste en étant spécialiste d’un seul sujet.
J’étais en Norvège ce week-end pour une conférence sur le journalisme d’investigation et je disais « Si vous êtes journalistes et que vous voulez gagner de l’argent, que vous voulez créer votre petite entreprise, vous allez avoir votre feuille excel et vous allez avoir vos revenus et vos dépenses, et vous allez dire : “Mes revenus c’est la vente de mes articles et et ce que me verses les fondations”. Eh bien le conseil que je vous donne, c’est d’avoir 10 entrées à la colonne revenus dans votre feuille excel ». Parce que le modèle ça ne sera plus une ou deux sources de revenus. Si vous faites ça vous vous forcez à penser que tout doit être fait autrement.
Donc il ne faut pas paniquer car vous faites partie de cette jeune génération. Le modèle est là, la demande est là, il faut juste une façon intelligente de l’appréhender.
Propos recueillis par Laura Prat & Camille Lafrance