Le défi néerlandais de Yournalism pour réinventer le financement de la presse
Les nouveaux propriétaires des médias

Le défi néerlandais de Yournalism pour réinventer le financement de la presse

La crise de la presse est pour certains une opportunité. Une occasion de tout refaire, de réinventer le modèle. Au Pays-Bas, terre de presse, certains médias se dressent contre les schémas traditionnels imposés par la pub. Une information différente devient possible, basée sur de nouveaux financements. Confiance et transparence sont désormais les maître-mots.

Chez les Néerlandais, où un foyer sur deux lit quotidiennement un journal papier, le pari des médias alternatifs était audacieux. Aujourd’hui, les nouveaux projets entrepris font fureur à l’international, les modèles de financement à la sauce hollandaise s’exportent bien! De Blendle, le “kiosque à journaux” numérique qui s’arrache en Allemagne, à De Correspondent, l’iniateur du crowdfunding aux Pays-Bas, en passant par Yournalism, plateforme réputée de journalisme “à la carte”, les start-up porteuses d’innovation ne manquent pas.

Interview de Sybren Kooistra, un des esprits fondateurs de Yournalism.fr (au centre sur la photo ci-dessus).

Sybren Kooistra croqué par Camille Lafrance

Sybren Kooistra croqué par Camille Lafrance

1. Comment est née l’idée de Yournalism.nl ?

Yournalism est né d’un “défi” : un concours où vingt équipes se sont battues pour avoir la chance de gagner 20.000€ à condition de proposer des idées d’innovation dans le domaine du journalisme. Huub Schuijn, mon associé, et moi avons été les gagnants. Nous avions eu l’idée, bien avant de participer au défi, qu’il fallait inventer un nouveau modèle de financement pour le journalisme d’investigation. Nous étions persuadés que les gens seraient prêts à payer 5 ou même 100€ s’ils croyaient en l’intérêt d’un média ou simplement d’un article.

Nous sommes partis de cette idée. Nous avons obtenu encore 20.000€ d’investissement de la part d’un ami (qui est aussi maintenant l’un des chefs, Wadim Seminsky) et nous avons pu créer un site web. Le premier mois, nous avons injecté 9.000€ dans l’investigation. La première année, nous avons investi presque 100.000€ en tout. Nous avons obtenu des articles dans des grands journaux nationaux, mais aussi à l’étranger comme par exemple le journal allemand Die Zeit et bientôt le Mail & Guardian, un journal sud-africain. C’est ainsi que l’aventure a commencé.

2. Pourquoi le crowdfunding ? Est-ce rentable à long terme pour financer une rédaction telle que la vôtre et lui permettre de fonctionner au jour le jour ?

Il existe quatre modèles de financement pour le journalisme à l’heure actuelle. Les abonnements sont encore ce qui fonctionne le mieux, même si obtenir des abonnements en ligne est difficile. Il y a aussi la publicité, mais elle s’est beaucoup émoussée. Ensuite, la pub uniquement en ligne qui a une audience plus large et qui permet un journalisme peu cher, à l’instar de Buzzfeed ou de Huffingtonpost. Et enfin le crowdfunding.

Il n’existait pas, à notre connaissance, de modèle durable et réussi de crowdfunding dans l’univers du journalisme. Nous pensions pourtant que c’était possible. La question qui s’est posée à nous était : pourquoi les gens paieraient alors que tout le monde aujourd’hui peut accéder gratuitement à l’information ? Peut-être pour certaines informations particulières, un “journalisme de niche”, comme le journalisme d’investigation par exemple.

3. Comment répartissez-vous l’argent que vous recevez ?

Nous nous attribuons 15% de l’argent que nous recueillons, le reste va aux journalistes. Tous les revenus supplémentaires provenant de la vente d’un article vont aux pigistes. À coté de ça, nous produisons quelques articles que nous soumettons ponctuellement au financement participatif. Les recettes nous reviennent alors totalement.

4. Comment s’organise votre travail au quotidien ?

Je travaille quatre jours par semaine en tant que datajournaliste et journaliste d’investigation pour De Volkskrant qui est le principal journal de qualité aux Pays-Bas (équivalent du Monde en France).
Les autres jours de la semaine, pendant mes soirées et mes week-ends, je travaille pour Yournalism. Je combine ces deux activités car il ne serait pas encore rentable pour moi de ne travailler que pour Yournalism.

5. Envisagez-vous d’étendre votre média à l’étranger, en le traduisant en anglais par exemple?

Oui, nous travaillons actuellement avec South African News, et nous avons déjà produit un article concernant le TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) qui a été traduit en français et en allemand. Nous prévoyons d’aller encore plus loin et nous espérons arriver en France d’ici un an et demi.

Propos recueillis par Camille Lafrance – Laura Prat.

« Un espace libre pour des initiatives » innovantes

Journaliste spécialisé dans les questions de santé publique pour la chaîne néerlandaise NOS, Rinke van den Brink rappelle que ces nouveaux modes de financement participatif ne font pas l’unanimité, et n’ont probablement pas vocation à remplacer totalement les modèles actuels.

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