Le 29 septembre 2015, le géant de la presse allemande Axel Springer s’emparait du pure-player économique Business Insider pour plus de 300 millions de dollars.
Un pari risqué, qui met en lumière la bataille que se livrent les médias traditionnels pour conquérir le marché numérique.
Business Insider est le prototype même de la réussite à l’américaine : un succès express, un patron revenu de l’enfer… Mais pour Axel Springer, le site internet dédié à l’actualité économique, qui s’adresse aux jeunes actifs alternant articles de fond et sujets légers, est avant-tout l’étape clé de sa conquête du marché digital.
Axel Springer entre dans la bataille du numérique
Axel Springer est un mastodonte. Le groupe de presse allemand – le plus important du pays – possèdent cinq journaux, dont Bild, le quotidien le plus lu en Europe, ainsi qu’une trentaine d’autres titres magazines comme Rolling Stones, Auto Plus ou encore TV Magazine.
Un mastodonte qui a malgré tout un talon d’Achille : le web. Avant de se lancer dans l’aventure Business Insider il y a de cela quelques jours, Springer ne comptait, en tout et pour tout, que quatre sites internet dans son escarcelle médiatique : Autoreflex.com, Seloger.com, Aufeminin.com et Marmiton.org. Leur point commun ? Absolument aucun. Depuis la moitié des années 2000, Axel Springer a décidé de se lancer dans la bataille du numérique à corps perdu, suivant une stratégie de diversification d’une agressivité rare. Alexandre Joux, Maître de Conférences en Sciences de l’Information à Marseille, spécialiste des nouveaux médias et de l’économie du numérique, résume la stratégie digitale du groupe :
Springer revend des titres papiers pour financer ses achats dans le numérique, et ces achats n’on parfois rien a voir avec l’information. L’exemple parfait est Seloger.com, qui est un site de petites annonces. C’est de la conquête du marché numérique, mais dans toute leur diversité et pas seulement l’information en format numérique. On parle donc de médias totalement différents où la rentabilité est plus importante.
Le prix déboursé pour acquérir Business Insider est finalement la meilleure preuve de ce violent changement de stratégie : Springer a déboursé pas moins de 343 millions de dollars dans cette opération, alors que le site dédié à l’actualité économique n’est même pas encore rentable. « Quand on a appris le montant du rachat, on a tous été très étonnés. Même si Business Insider est en pleine expansion, que la nouvelle cible de Springer sont les jeunes, c’est énorme« , confie Marina Alcaraz, journaliste au service médias des Échos, qui a suivi l’affaire de près.
« L’alliance objective » Springer – Bertelsmann
Après l’Australie, l’Inde ou encore Singapour, la France aura également « son » Business Insider au premier trimestre 2016. C’est Prisma Media, filiale de l’entreprise de presse allemande Bertelsmann, qui a été choisi par le pure-player pour développer son édition hexagonale.
« Un mariage heureux », comme aime le dire Stéphanie Bertrand-Tassily, directrice de la communication du groupe qui possède, entre autre, Capital et Harvard Business Review France : « Prisma Media et Business Insider s’étaient identifiés depuis plusieurs mois par rapport à leurs marché respectifs, bien avant que Springer le rachète. Dans cette affaire, Business Insider choisit le partenaire le plus présent dans le secteur économique de la presse magazine. Pour Prisma, l’intérêt est de compléter notre portefeuille de marques économiques avec l’insertion de ce pure-player. On continue notre développement de marque et, dans le même temps, on accroit notre expansion dans l’univers du digital. »
Après avoir avalé Business Insider, Springer n’a pas jugé utile de remettre en question le contrat de licence avec Prisma. « Que Springer ait acheté Business Insider ne remet absolument pas en cause ni le partenariat, ni les clauses du contrat », indique Stéphanie Bertrand-Tassily. Mais un détail a de quoi intriguer : Bertelsmann, maison-mère de Prisma, est le tout premier concurrent d’Axel Springer en Allemagne. Pourquoi deux farouches rivaux du print s’accorderaient donc comme cela ? Pour Alexandre Joux, cela ne fait aucun doute, il s’agit bien d’une« alliance objective » pour concurrencer les grands acteurs du web et se tailler une part du grand gâteau numérique :
Ancien paria du monde la finance, Henry Blodget a retrouvé le chemin de la gloire suite au rachat de son site d’information économique par Alex Springer. C’est le nouveau visage de l’information économique aux Etats-Unis. Henry Blodget, quadragénaire au sourire ultra bright et aux cheveux blond vénitien, ressemble à n’importe quel homme d’affaire new-yorkais. Une image pourtant bien loin de la réalité.
Succès fulgurant, problèmes judiciaires, humiliation médiatique et come-back retentissant… À 48 ans, la vie du fondateur de Business Insider s’apparente au scénario d’un film hollywoodien à gros budget. Le type d’histoire dont l’Amérique raffole.
Comme au cinéma
Né en 1966, après avoir étudié à Yale, Henry Blodget hésite longtemps quand à son avenir : devenir journaliste ou travailler dans la finance. C’est finalement à Wall Street qu’il va faire carrière en obtenant un poste d’analyste financier. Un choix judicieux. Très vite il devient, grâce à ses conseils, une référence dans le secteur de l’e-commerce. À la fin des années 1990 l’analyste accède même à la célébrité en étant le premier à comprendre et annoncer le futur succès du site Amazon.
Mais alors qu’il est à l’apogée de sa carrière, l’explosion de la bulle internet, à l’aube des années 2000, va brutalement y mettre un terme. Accusé d’avoir donné de fausses informations à ses clients, Henry Blodget évite la prison in extremis, mais doit payer une amende de deux millions de dollars.
La rédemption
De monstre de la finance, il devient en quelques mois seulement, la risée de Wall Street. Virage à 180°, l’ancien analyste renoue alors avec son rêve d’étudiant et se lance dans une carrière de journaliste en créant un site web dédié à l’actualité économique : Business Insider. Très vite, il trouve le bon filon : des titres chocs pour des articles courts, divertissants et pédagogiques afin d’élargir son audience, un peu plus chaque jour.
Encore une fois c’est le Jackpot. Après huit ans d’existence, Business Insider revendique déjà 80 millions de visiteurs uniques par mois, soit une audience comparable à celle du Wall Street Journal. Et si sa carrière d’analyste est derrière lui, dans ses articles, il prodigue toujours, ses conseils aux investisseurs. Plus qu’une renaissance c’est une revanche pour l’ancien paria de la finance.