Dénoncée pour le caractère intrusif de ses dispositions, la « loi renseignement » française risque aussi d’avoir des conséquences pour les journalistes et le secret des sources. Zoom sur quelques-unes des situations qui peuvent menacer le droit à l’information.
« Le journalisme n’est pas un délit. Mais qu’est-ce que je peux passer comme temps dans les cabinets d’instruction ou dans les salles d’audience », écrit Fabrice Arfi au début du livre Informer n’est pas un délit. Poursuivi pour recel dans l’affaire Bettencourt, le journaliste de Mediapart se dit victime d’un nouveau type d’attaques juridiques, qui visent davantage sa manière d’enquêter que le fond de ses écrits. Auparavant, c’était la loi de 1881 sur le droit de la presse qui était invoquée, notamment pour les cas de diffamation et de droit de réponse.
User de l’arme judiciaire contre un journaliste ou un média dont les publications déplaisent est depuis longtemps une pratique courante, dont les journalistes d’investigation se sont accommodé. Maître Olivier Haas, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies, le confirme : « C’est quelque part légitime, si l’on n’est pas d’accord avec une opinion, d’essayer de l’attaquer par tous les angles possibles. Si la diffamation ne le permet pas, on s’intéresse à d’autres choses comme le secret des sources du journaliste, l’origine de l’information… » Mais quand l’État s’immisce dans ces rapports, ces conflits peuvent poser problème.
La loi sur le renseignement, entrée en vigueur le 24 juillet 2015, vise à donner un cadre juridique aux opérations de renseignement. Elle permet notamment aux services français de mettre quelqu’un sur écoute après autorisation du Premier ministre s’il juge que cette personne menace une large liste d’« intérêts publics » tels que la prévention du terrorisme ou les « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ». Des formulations qui permettent des interprétations assez larges.
Auparavant, seul le juge d’instruction pouvait décider d’une mise sur écoute. Des associations comme la Quadrature du Net et des syndicats comme le Syndicat de la magistrature ont critiqué le texte, jugeant qu’il ouvrait la porte à des méthodes trop intrusives, notamment des mises sur écoute et des interceptions d’e-mails. Or, celles-ci peuvent aussi concerner les journalistes. « Cette loi porte atteinte aux droits et libertés des journalistes, dont le sacro-saint secret des sources », dénonce dans un communiqué l’Association de la presse judiciaire (APJ), qui a déposé une requête contre le texte devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Comment un journaliste peut-il être écouté ?
La loi renseignement prévoit des protections pour certaines activités soumises au secret professionnel. « Les techniques de recueil du renseignement […] ne peuvent être mises en œuvre à l’encontre d’un magistrat, d’un avocat, d’un parlementaire ou d’un journaliste […] que sur autorisation motivée du Premier ministre prise après avis de la commission réunie », dispose le texte. Mais cela n’écarte pas des risques réels. Un Premier ministre pourrait par exemple être tenté de laisser écouter un journaliste qui enquête sur une affaire visant le gouvernement. « C’est l’affaire des fadettes du Monde », explique Pierre Januel, collaborateur du groupe écologiste à l’Assemblée nationale. « La DCRI a fait écouter deux journalistes du Monde suite à des révélations sur l’affaire Bettencourt. C’est l’attaque sur les sources. C’est toujours une attaque contre la liberté de l’information », lance-t-il.
« Ce texte de loi permet la mise en place d’une police politique. Si ça veut être utilisé comme ça, c’est possible », craint Laure de la Raudière, députée Les Républicains qui a voté contre le texte en mai 2015. Il est aussi envisageable qu’un journaliste qui enquête sur un sujet sensible soit amené à contacter des personnes elles-mêmes sur écoute. L’élue d’Eure-et-Loir explique dans quelles circonstances cela peut se produire.
Se pose également le problème de la frontière entre vie professionnelle et vie privée. « Vous avez un téléphone portable, l’utilisez-vous en tant que journaliste ou en tant que personne privée ? Les écoutes peuvent se faire comme ça », explique Pierre-Antoine Souchard, président de l’APJ.
D’autant que plusieurs lois qui entravent l’exercice du métier de journaliste, ont été votées ces dernières années. Dans le livre Informer n’est pas un délit, Christophe Labbé et Olivia Recasens dénoncent un texte législatif de 2011 punissant très sévèrement « la révélation de toute information » pouvant permettre d’identifier un agent secret français. « Même au nom de l’intérêt général ou pour dénoncer une dérive, il est interdit d’évoquer un nom, un lieu, une date », s’indignent les deux journalistes.
Idem pour la réglementation sur le secret des affaires. L’article de la loi Macron qui punissait aussi très sévèrement la violation de secrets industriels au nom des intérêts économiques de la France, censuré par le Conseil constitutionnel, a été dénoncé par de nombreux journalistes comme une atteinte à la liberté d’informer.
Ces lois, votées au nom des intérêts de la nation, inquiètent nombre de journalistes et se nourrissent d’un climat difficile pour la liberté de la presse. Et Pierre-Antoine Souchard de conclure : « Au nom de la lutte contre le terrorisme, faire reculer le champ des libertés fondamentales, c’est presque faire gagner le terrorisme. »