Derrière le groupe First Look Media se cache un homme à l’image controversée : Pierre Omidyar, homme d’affaires franco-iranien, devenu multimilliardaire après avoir lancé la plateforme eBay à la fin des années 90. Difficile de connaître les réelles intentions de ce personnage mystérieux qui se dit défenseur de la démocratie mais dont les méthodes sont vivement critiquées. Portrait
Il est un de ces geeks visionnaires dont la Silicon Valley regorge désormais. Un de ces génies de l’informatique qui a compris avant tout le monde ce que la création d’Internet signifiait en termes d’opportunités commerciales. « Il était au bon endroit au bon moment, et avec une bonne idée », résume Ken Silverstein, journaliste d’investigation, qui a travaillé pour The Intercept pendant plus d’un an.
Né à Paris de parents iraniens, Pierre Omidyar a été un étudiant en informatique moyen qui a travaillé quelques années pour une filiale d’Apple. Avant de lancer en 1995 la plateforme qui fera de lui un des hommes les plus riches du monde : un espace sur son site personnel où les internautes peuvent enchérir sur un produit mis en vente. eBay est né.
Porté par le boom d’Internet et du commerce en ligne, le site devient un phénomène en quelques mois. Deux millions de ventes aux enchères avaient eu lieu sur la plateforme pendant le seul mois de janvier 1997, moins de deux ans après le lancement du site. Un an plus tard, l’entreprise entre en bourse et, du jour au lendemain, Pierre Omidyar devient multimilliardaire à seulement 31 ans. « Je suis devenu tellement riche que ça en devenait ridicule », confesse-t-il lui-même, cité par The Guardian.
Je m’intéresse aux moyens de venir en aide aux journalistes indépendants pour leur permettre d’aller le plus loin possible dans leur travail, car tout cela relève de l’intérêt public. Je veux trouver le moyen de faire de tous les lecteurs des citoyens engagés — Pierre Omidyar au New York Magazine.
Alors que faire de ces milliards ? Depuis 2004, Pierre Omidyar et sa femme Pamela se consacrent à leur organisation caritative, Omidyar Network, qui aide des entrepreneurs du monde entier à développer leur activité. Jusqu’ici rien de nouveau dans le monde des magnats philanthropes dans lequel Pierre Omidyar vit désormais. Mais l’aventure First Look est différente. Le monde des médias n’est pas vraiment celui où il est conseillé d’investir ces derniers temps. Alors pourquoi se lancer dans un tel projet ? « Je m’intéresse aux moyens de venir en aide aux journalistes indépendants pour leur permettre d’aller le plus loin possible dans leur travail, car tout cela relève de l’intérêt public« , précise l’entrepreneur dans le New York Magazine. « Je veux trouver le moyen de faire de tous les lecteurs des citoyens engagés« .
L’intérêt d’Omidyar pour les médias serait donc réel. « Il est sincèrement intéressé et préoccupé par le lent déclin que connaît l’industrie de la presse aujourd’hui« , avance le journaliste américain Brian Greenspun, dans le New York Magazine. « Et quel impact ce déclin aura sur notre démocratie ». Un outil de contre-pouvoir, dans la vieille tradition anglo-saxonne, c’est donc comme cela qu’Omidyar imaginerait First Look : « courageux et contradictoire [fearless and adversarial]« .
Tout cela est simplement une affaire d’ego. Il pense que sa voix est tellement importante qu’elle mérite d’être entendue et il a les moyens de créer un journal donc il le fait. Mais le journalisme n’est tout simplement pas fait pour lui. — Ken Silverstein, ancien journaliste à The Intercept
L’homme d’affaires de 48 ans rêverait de transparence démocratique et de responsabilité civile. “Il s’affiche comme quelqu’un de très investi et qui croit à un pouvoir émancipateur de la presse”, avance Olivier Tesquet, journaliste qui couvre notamment l’affaire Snowden pour Télérama. Un idéal que Ken Silverstein balaie d’un revers de main. « C’est des conneries. Tout cela est simplement une affaire d’ego. Il pense que sa voix est tellement importante qu’elle mérite d’être entendue et il a les moyens de créer un journal donc il le fait. Mais le journalisme n’est tout simplement pas fait pour lui« , tranche celui qui a démissionné du média en ligne The Intercept en février dernier. Ken Silverstein dénonce surtout le manque de compétence de l’équipe de First Look, davantage que leurs mauvaises intentions. « Pierre Omidyar est entouré de gens incompétents qui le caressent dans le sens du poil parce qu’il a beaucoup d’argent« , ajoute-t-il.
Olivier Tesquet a un avis moins tranché sur le personnage mais il confirme que la décision de Pierre Omidyar de créer First Look relève sûrement d’une stratégie plus globale pour élargir son influence. « C’est un moyen de se différencier d’autres grandes entreprises touchées par l’affaire Snowden qui sont davantage perçues comme des collaborateurs d’un gouvernement intrusif« , précise-t-il. « En se présentant comme le chevalier blanc, il s’achète de l’influence et une moralité« . Pierre Omidyar a pour l’instant réussi son coup. The Intercept est aujourd’hui le média en ligne qui incarne la résistance de la presse américaine face à un État omniscient. Mais les démissions en chaîne et les accusations d’incompétence risquent vite d’ébranler la crédibilité du site.