Patrick Drahi est partout. À la Une des journaux français et internationaux lorsqu’il s’agit de rachat de télécoms, de télévisions ou de journaux à l’étranger. Le discret PDG est désormais à la tête d’un empire médiatique, Altice Media Group, filiale d’Altice. 52 milliards d’euros dépensés sur les dix-huit derniers mois dont 18 millions pour LIBERATION, un peu moins de 10 millions pour L’EXPRESS, et le rachat de NextRadioTV (RMC et BFMTV) prévu d’ici 2019. Uniquement des achats à crédit… sauf un : I24news, une chaîne créée de toutes pièces par le magnat des télécoms pour couvrir l’actualité internationale à partir de la diversité israélienne.
Lorsqu’il décide de lancer la chaîne en juillet 2013, l’homme d’affaires franco-israélien ne souhaite ni plus ni moins créer un « CNN israélien » qui raisonnerait à l’international, concurrençant du même coup la déjà existante France 24 ou la toute puissante Al-Jazeera. Il recrute alors 250 journalistes en 100 jours et annonce une grille de programmes en trois langues (français, anglais et arabe). Fabienne Schmitt, chef adjointe du service High-Tech des Echos et seule journaliste à s’être entretenu avec lui ces dix-huit derniers mois, rappelle l’ambition de Drahi à cette époque : « Lorsqu’il décide d’investir dans les médias, il est un novice, admet qu’il n’y connaît pas grand chose mais reste persuadé qu’il va réussir. Et pour y arriver, il assure que ce n’est pas un business pour lui, juste son rôle de citoyen de défendre la liberté d’information« .
Business or not business
« Je pense que c’est ça danseuse. Qu’il a découvert Israël sur le tard et s’est rendu compte qu’y faire des affaires là-bas est un formidable accélérateur« , assure un journaliste français parti visiter les locaux au premier semestre 2015. Après avoir rencontré le directeur d’I24news et ex-conseiller en communication de Dominique de Villepin, Frank Melloul, il revient sur l’impression laissée par la chaîne : « Patrick Drahi cherche à se faire un nom, c’est évident. L’objectif étant de se faire le plus présent possible dans tous les pays, il est fort probable qu’un rachat s’annonce au Portugal d’ici la fin 2015 puisqu’il y fait l’actualité presque toutes les semaines. »
Pour le coup, la troisième fortune de France ne rachète pas : elle pose les bases d’un nouveau média, son média. Au risque de se planter ? Au contraire du plan de licenciement prévu du côté de l’Express, Drahi a décidé d’investir 50 millions d’euros par an dans I24news… trois fois moins que le budget de France 24 et bien moins qu’Al-Jazeera, propriété de l’émir du Qatar Cheikh Hamad bin Khalifa al Thani. Comme le précise Fabienne Schmitt, « il faut avoir les moyens de ses ambitions et même s’il ne cherche pas à perdre de l’argent, je ne vois pas non plus comment il pourrait en gagner. Alors il vous explique qu’après avoir rationalisé ces rachats dans les médias, il faut avoir un groupe de journaux pour rentabiliser. Parce qu’avec un journal seul, on ne gagne pas grand chose. »
Autre source d’incompréhension : I24news ne dispose pas d’une autorisation de diffusion sur le territoire israélien puisque la loi israélienne interdit d’être à la fois propriétaire d’un network et d’une chaîne de télévision. Autrement dit, I24news est diffusée en Israël uniquement via Internet. La faute à son patron qui n’a pas anticipé cette interdiction lorsqu’il a fait l’acquisition de HOT, le câblo-opérateur local. Néanmoins, Patrick Drahi a su en faire son laboratoire israélien, lui permettant de se faire la main avant de passer au géant français du mobile, SFR. Après avoir obtenu la nationalité israélienne, Drahi a donc installé la base de « son média » sur le petit port de Jaffa sans pouvoir y diffuser ses images.
Une machine qui s’enraye
Par ailleurs, Fabienne Schmitt pointe un risque potentiellement imminent pour I24news en particulier et les médias dont il est propriétaire de manière générale : « Sa frénésie d’achat commence déjà à entrer en conflit avec les lignes éditoriales de ses médias et le risque, c’est que ces dernières éclatent. Il ne faut pas non plus oublier que la part des investissements de Patrick Drahi dans les médias est infime par rapport à celle qu’il concède pour les télécoms et autres secteurs. » De fait, la création d’I24news est d’autant plus difficile à cerner puisque la faiblesse des moyens alloués se fait déjà ressentir au sein même de la rédaction. L’audience de la chaîne ne dépasserait pas les 0,1% de part de marché et certains journalistes se plaignent de ne pouvoir relayer que des dépêches AFP au lieu d’être envoyés sur le terrain. La faute, sûrement, à la difficile délimitation de la ligne éditoriale de la chaîne. Celle-ci n’a d’ailleurs su se faire connaître que durant la guerre de Gaza, l’été dernier en montrant la guerre coté israélien.
D’après un article de l’Obs, la rédaction d’I24news serait sous tension face à des humiliations, des hurlements, du flicage et des licenciements express de la part de la direction. Conséquence possible de l’intervention récente du boss sur le port de Jaffa : se plaignant d’audiences catastrophiques, il aurait sommé les salariés d’obtenir enfin à des résultats concrets. Et vite. Pour y parvenir, I24news annonce le lancement prochain de programmes en Espagnol et compte augmenter son budget en faisant appel à des donateurs privés « qui ont aimé la chaîne ». Suffisant pour sauver le projet chéri du nabab des médias français ?